Avez-vous connu Fernand, le bourrelier de Saint-Laurent d'Aigouze?
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Il n'y a pas si longtemps, nous avions la chance d'avoir un vieux bourrelier dans le village. Il se nommait Fernand et habitait rue Carnot, tout près de la banque (un comble... vous allez bientôt comprendre pourquoi!). Il n'avait pas de boutique mais travaillait toute la sainte journée dans son garage grand ouvert. Dès le lever du soleil, il sortait sa chaise sur le trottoir et, en fonction des jours, on pouvait le voir travailler sur un matelas, une selle, un harnais, une besace ou un tablier d'éleveur. Le soir, dès que la lumière diminuait, il rangeait ses outils, sa chaise et le travail en cour, fermait le garage et avec son vieux vélo "à cagette" (oui, par ici, les vélos des papets ont tous une cagette fixée sur le porte-bagage) il se rendait au bistro retrouver ses copains autour d'une chopine.
Sa position stratégique, dans le périphérique saint-laurentais, et sa gentillesse faisaient que tout le monde connaissait celui que l'on surnommait amicalement "le marquis de la Croupière".
Pourtant Fernand n'était pas riche et bien que sa femme, fut très économe, il avait beaucoup de mal à nourrir leur 12 enfants.
Fernand gardait toutefois bon espoir, il était persuadé qu'un jour la chance lui sourirait et que sa famille mangerait enfin à sa faim. Sa femme pensait qu'il était fou de croire à un miracle, mais comme il était toujours de bonne humeur, elle ne disait rien.
Un beau matin, après un très modeste petit déjeuner et avant d'ouvrir son garage, notre bourrelier lui dit :
- Cette nuit, j'ai fait un bien étrange rêve. J'ai rêvé que sur le Pont des Tourradons, je trouvais un trésor et que nous étions enfin riches.
Sa femme éclata de rire.
- Heureusement que le Pont des Tourradons est loin d'ici! Sinon, je crois bien que tu serais assez fou pour partir en courant. Ne sais tu pas que les rêves mentent?
Fernand ne lui répondit pas. Il ouvrit le garage et commença à travailler. Le rêve lui trotta dans la tête toute la journée. Et le soir en allant se coucher, il y pensait encore.
Dès qu'il s'endormit, il rêva une seconde fois que sur le Pont des Tourradons, le bonheur l'attendait. Et puis une troisième fois la nuit suivante. Il dit alors à sa femme :
- J'ai de nouveau fait ce rêve étrange pour la troisième fois. C'est décidé! Je pars pour le Pont des Tourradons
Sa femme se mit en colère et lui dit d'un ton sévère :
- Et tu vas abandonner ton travail pour un rêve stupide ! Si tu pars, tes clients trouveront un autre bourrelier et nous mourrons tous de faim !
Mais elle eut beau crier, Fernand pris son vélo "à cagette" et partit en direction du Pont.
Il passa par les petits chemins bordant le Mas du Grand Bordes, les rizières de Chaberton, les près de Serpentan, entre Saint-Laurent et Le Cailar. Il se mit en danseuse, pour monter au Grand Bourry, longer les Costières de la Laune et arriver au Pont des Tourradons qui permet de se rendre à l'étang du Charnier.
Sur place, Il chercha le fameux trésor. Sur le pont, sous le pont, près de l'étang... sans rien découvrir! A la fin de la journée il allait perdre sa bonne humeur quand le sagneur (celui qui coupe le chaume dans les roselières de Camargue) passa sur le pont.
- Excusez-moi, mon bon monsieur, mais pendant toute la journée je vous ai vu chercher quelques chose. Puis-je vous demander de quoi il s'agit ? J'aimerai vous aider
Le bourrelier observa le sagneur et il répondit :
- Ce que je cherche... ce n'est sûrement pas vous qui allait le trouver !
- Peut-être que oui, peut-être que non répondit le sagneur d'un air énigmatique
Le cordonnier observa plus attentivement le sagneur et décida de lui confier son secret. Quand il eut entendu son récit, le sagneur éclata de rire.
- Et bien ! Vous êtes vraiment assez fou pour croire aux rêves ? Moi aussi, j'en fait de drôles, mais je ne perds pas la tête ! En ce moment par exemple je rêve toutes les nuits que dans la ville de saint-Laurent d'Aigouze, juste derrière l'église, habite un bourrelier et que ce bourrelier a dans son jardin, juste sous un plant de tomate, une marmite pleine d'argent. Croyez-vous que je m'y précipite ? Pas du tout, pour rien au monde je ferai une si longue route. Je ne suis pas tombé sur la tête, moi !
Fernand sentit son cœur battre la chamade. Il parvint pourtant à cacher son émoi et répondit au sagneur :
- Vous avez sans doute raison. Il vaut mieux que je rentre à la maison !
Le sagneur le félicita pour cette bonne résolution. Puis ils se dirent adieu et notre bourrelier reprit sans attendre le chemin du retour.
A peine arrivé à la nuit tombée, Fernand, tout en sueur, ne dit pas un mot à sa femme, il attrapa sa bêche et courut au jardin. Mais elle le suivit en levant les bras au ciel et en le houspillant. Lui faisait la sourde oreille et creusa au pied du plant de tomate. Puis tout à coup, il se baissa... et ramassa une marmite pleine de pièces d'or ! Il se tourna vers sa femme et lui demanda :
- Qu'en dis-tu maintenant ? Penses-tu encore qu'il était fou de pédaler jusqu'au Pont des Tourradons ?
Ils décidèrent de ne parler à personne de ce trésor et continuèrent à vivre comme autrefois. Ils cachèrent les pièces d'or et la femme utilisa la marmite pour faire la cuisine. Sur la marmite, il y avait des mots écrits en langue étrangère que ni l'un ni l'autre ne comprenaient ; ils eurent tôt fait de l'oublier.
Un jour, le pasteur leur rendit visite. Il s'installa en face du fourneau et demanda avec curiosité :
- Où avez-vous trouvé cette marmite ?
Fernand répondit d'un air indifférent :
- C'est une vieille marmite. Il y a quelque chose d'écrit mais nous ne savons pas ce que cela veut dire.
Le pasteur se rapprocha, mit ses lunettes, lut l'inscription... et dit :
- Je comprends, c'est écrit en latin. Voilà ce qui est écrit "Sous cette marmite... il y a une autre marmite ". C'est bien mystérieux !
Fernand attendit impatiemment le départ de son hôte pour attraper sa bêche et courir au jardin. Et en effet, il ne tarda pas à déterrer une autre marmite pleine d'argent.
Notre bourrelier continua à sortir sa chaise et à se pencher sur son travail, tous les matins. Mais plus jamais ses enfants n'eurent faim et ... plus jamais sa femme ne pensa qu'il était fou.