09. LE CHAPEAU DE CAMARGUE Histoire

Le véritable auteur de cette histoire initialement intitulée « LA BÉNÉDICTION CIRCULAIRE » se nomme Pertuzé.

C’est un graphiste de talent que nous avons découvert par hasard en cheminant sur le Net. Doué d’une plume habile et originaire de Gascogne, il raconte cette histoire qui donne l’origine du béret. Nous avons voulu lui rendre un petit hommage en interprétant ce conte à la mode du “Pays de Camargue”. Mais je suis sûr, qu’un jour peut-être, les enfants s’approprieront cette histoire du chapeau de Camargue. Il vous sera alors difficile de faire la part des choses… N’est-ce pas l’objectif d’une belle histoire!

Comme nous le savons tous, Dieu créa le monde avec une extrême logique, la terre, la mer, les arbres, les animaux… et couetera et couetera… Puis dans sa grande sagesse, il créa les hommes et, histoire de parfaire le tableau et de lui donner une touche de beauté, il imagina les femmes.

Quand il eut fini son ouvrage, en fils bien élevé, il rangea ses affaires et se rendit compte qu’il lui restait encore un peu de ciel bleu, beaucoup d’eau, quelques rayons de soleil et pas mal de bonne humeur… alors pour s’amuser et comme il n’aimait pas gâcher, il inventa la Camargue… et les Camarguais qui héritèrent ainsi d’un pays “où tout est un tantinet plusse qu’ailleurs”. Il se recula un peu, pour contempler son œuvre, en s’essuyant consciencieusement les mains sur son grand tablier et il fut enchanté du résultat général… et particulièrement réjoui par les Camarguais… tellement réjoui qu’il leur offrit une petite signature céleste en les dotant, tout comme les anges, d’une large auréole, bien ronde et bien brillante, un peu luminescente, qui leur flottait au dessus de la tête en répandant une ombre bienvenue pour se protéger du trop-plein de rayons de soleil.

Malheureusement, rien de ce qui est bon sur cette terre ne saurait durer indéfiniment. Les Camarguais trouvèrent très vite un inconvénient majeur à la présence de leur auréole. Combien de temps leur fallut-il pour en arriver à cette conclusion, nul ne saurait le dire. Toujours est-il qu’ils se réunirent un jour pour discuter. Les plus hardis d’entre eux désignèrent de plus hardis encore, afin qu’ils allassent en délégation déposer leur requête aux pieds du Bon Dieu.

Ainsi fût dit, ainsi fût fait, les Camarguais sellèrent leurs beaux chevaux blanc, se mirent sur leur 31 avec chemises provençales, pantalons et bottes de gardian, veste de velours noir et à la lueur de leurs auréoles, commencèrent un très long voyage sur les routes du ciel… En effet, en ce temps là, les voies du seigneur étaient tout aussi pénibles et difficiles et cahoteuses qu’aujourd’hui mais elles avaient l’avantage d’être connues et pas encore trop impénétrables.

Après moultes aventures et difficultés, dont nous aurons peut-être un jour l’occasion de parler, il arrivèrent devant un grand bonhomme barbu qui promenait son coq et trimballait un impressionnant trousseau de clefs. Saint-Pierre, car s’était lui vous l’aviez-deviné, les fît patienter dans l’antichambre du Paradis, juste sous les lambris dorés.

Au bout de quelques minutes à peine, le bon Dieu entra et leur dit : “Bonjour, mes bons amis camarguais, que me vaut le plaisir de cette petite visite ?” avec cette simplicité qui est l’apanage des vrais grands de ce monde. Alors le plus vaillant des plus vaillants Camarguais prit la parole.

Il commença par remercier Dieu de ses largesses en matière de grands espaces naturels, de soleil, de bonheur. Il lui rendit grâce de les avoir créés, de leur avoir donné des vignes et ce si fameux vin des sables, ce petit vent frais qui vient de la mer et rafraîchit les douces soirées estivales… et couetera et couetera!… et bien sûr ajouta-t-il, et bien sûr les taureaux aussi courageux dans les arènes que délicieux dans les assiettes de gardiannes.

-Y-aurait-il un problème avec les taureaux? dit Dieu en faisant semblant de ne pas comprendre. Voudriez-vous que je les rende encore plus fort, plus rapides, peut-être aussi gros que les taureaux espagnols?

– Non, non, Seigneur, s’exclamèrent tous les vaillants Camarguais, qui à l’occasion se faisaient aussi razetteurs et qui avaient déjà beaucoup trop de mal à piquer les attributs des bêtes à cornes à l’occasion des courses camarguaises. Non, non les taureaux sont très bien comme ils sont… seulement voilà..

Le plus vaillant des vaillants Camarguais se râcla la gorge.

– Seulement voilà, vous savez comme nous sommes, nous les gens du Sud : à la fin de la journée, nous sirotons tranquillement un petit apéritif sur la place du village, les penas dans le lointain préparent leur joyeux tintamarre, les blagues fusent, les filles sont jolies et souvent on les invite à partager une bonne gardianne ou de petits supions jusqu’à la nuit tombée, sous la fraîcheur des grands arbres. Tout est calme…

-Continue, le coupe Dieu avec un air complice, continue que tu me fais languir!

– Et puis dans la fraîcheur du soir alors que la belle va se blottir dans nos bras à la recherche d’une petite agacerie et d’un peu de chaleur, ça y est! Les voilà! Une multitude de points minuscules. On pourrait encore s’être trompé. Mais non! Ce sont eux, on les voit venir de loin, le nuage arrive, petit tout d’abord puis de plus en plus gros. Très vite, un petit bruit irritant commence à nous entortiller les nerfs…

A cette douloureuse évocation les plus hardis des vaillants Camarguais ont beau être… particulièrement courageux, ils ne purent retenir quelques larmes ou du moins quelques grincements de dents.

– Et alors? et alors,? fit Dieu pris à son propre jeu

– Et alors ? Et alors, des milliers de moustiques attirés par la lueur de nos auréoles fondent sur nous comme la misère sur le pauvre peuple. Voici que ça pique à dard que veux-tu. Les belles nous échappent, pardi et nous retournons dans nos pénates, boursouflés comme des coucourdes, rouges comme des pivoines et agités de grattements ininterrompus… Tout ça, à cause de ces “Bon Dieu” d’auréoles !

… A ce moment, il se mordit la langue, craignant d’avoir poussé le bouchon un peu trop loin et redoutant la colère de Dieu.

 

Le Bon Dieu, plissa les paupières et d’une voix grave comme les confidences qu’il venait d’entendre, il dit : 

– Ainsi, vous voulez que je vous ôte vos auréoles ? Ce qui vous rend si semblables à Mes anges du Paradis ? Ce qui vous distingue de tous les autres Hommes ? 

– Justement, hasarda l’un des Camarguais… n’est-ce point trop d’honneur… ?

– Qui peut dénier l’Honneur qu’il Me plaît d’octroyer ? demanda Dieu si doucement que Sa voix parut gronder comme le tonnerre.

Tous se turent, en regardant le bout de leurs bottes camarguaises.

– Je ne veux plus vous entendre, dit Dieu. Retournez en Camargue, et ne M’offensez plus.  » 

 

Les Camarguais saluèrent profondément et quittèrent le Paradis d’une démarche de vaincus. Le chemin du retour fut encore plus long que celui de l’aller. Chaque caillou du sentier écorchait les pattes de leurs chevaux blancs, chaque ronce déchirait leurs chemises provençales, leur peau et un peu de leur cœur.

Enfin, ils aperçurent les toits de sagne de leur village. Avant tout le monde, les chiens avaient décelé leur arrivée. Les gens vinrent à la rencontre des vaillants émissaires, qui gardaient obstinément la tête basse en se demandant comment ils allaient expliquer l’échec de leur mission…

Pourtant, çà et là, il y eut des exclamations de surprise.

– Qu’est-ce qui vous arrive ? Vos auréoles…?

Ils osèrent enfin s’entre-regarder et en effet, leurs auréoles avaient changé : loin de briller comme des lanternes, elles avaient pris une teinte terne de vieil or.

Peu à peu, comme une contagion, toutes les auréoles s’éteignaient insensiblement. Elles devenaient de plus en plus sombres et descendaient lentement, leurs bords s’affaissant, jusqu’à se poser doucement sur la tête de leur propriétaire. Les Camarguais suivaient des yeux l’évolution du phénomène, dans un profond silence.

Lorsque l’auréole devenue complètement noire et veloutée se posait sur leur crâne, ils se sentaient envahis d’une chaleur intense qui les pénétrait au plus profond de leur cerveau, lequel s’épanouissait, faisait la roue comme un vieux vin des sables, fusait d’esprit, de rires et d’idées.

Les plus hardis des plus hardis Camarguais comprirent alors qu’ils avaient été exaucés. Non seulement ils pourraient continuer à chasser les jolies filles, rousses, blondes ou brunes, mais encore ils pourraient continuer à jouir des bienfaits de cette nouvelle auréole.

Bien vite, ils devinrent experts dans son maniement, car cette auréole-là pouvait s’enlever, être lancée en l’air en signe de joie, servir de récipient pour transporter des œufs, des pommes ou des noix, battre le chien ou le marmot insolent, tuer les mouches pendues à la crinière de leurs blancs destriers, et surtout revenir sur la tête pour y tenir les idées au chaud…

C’est aussi depuis ce temps là que les moustiques sont de moins en moins fréquents dans notre belle région.

Est-il utile de poursuivre ? Le lecteur sagace aura déjà deviné que cette histoire raconte la vraie origine de ce que l’on a appelé plus tard le chapeau camarguais. On ne tentera pas de vous convaincre que tous les chapeaux camarguais sont des auréoles cristallisées – ou plutôt, feutrées – car si, comme on l’a déjà dit, les grâces ne sont point éternelles, l’homme a su, par son artisanat, imiter d’assez près (encore qu’imparfaitement, bien sûr) l’Oeuvre divine. Néanmoins, je ne saurais trop vous encourager à vérifier, auprès de quelques vieux Camarguais, s’ils ne sont pas réellement nés coiffés d’une telle bénédiction circulaire.

C’est un fait, les Camarguais sont les plus beaux, les plus forts, les plus intelligents.

Est-ce une raison pour s’en glorifier ? Ce genre d’histoire, sous des dehors débonnaires, véhicule peut-être un chauvinisme imbécile et suranné?

Considérez que je n’ai rien dit.

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